La scientificité de l'histoire
Fondamental : Histoire et science
L'histoire, en son sens le plus originaire a la prétention d’être une science, puisque le mot grec historia signifie : une étude, une enquête portant sur des faits. On parle souvent en ce sens, non seulement de connaissance historique, ou encore de science historique. Mais, l'histoire est-elle, précisément, une science ?
Ce qui caractérise une science, c'est son objet d'étude, sa démarche ou sa méthode et les résultats. En effet, l'objet d'étude de l'histoire est le fait historique. Sa démarche est la méthode critique qui se décline en critique externe pour l'authentification des documents et des sources en lien avec le fait historique et en critique interne pour la fiabilité des contenus des sources authentiques. L'histoire se sert des sciences auxiliaires comme la numismatique[1] et la datation au carbone 14[2] pour apporter plus de précisions sur le résultat de ses fouilles archéologiques. Toutefois, Aristote (384 av. J.-C. - 322 av. J.-C.) nous dit qu'une science doit toujours porter sur des objets universels et nécessaires. On peut prétendre posséder la science d'un objet quand on peut énoncer sa ou ses diverses causes, à savoir le « pourquoi » de cet objet et de son existence. Cela implique que la science doit être universelle, et dans les deux sens du terme : elle doit être toujours vraie, mais aussi vraie pour tous. On dira aussi qu'elle doit être « objective », c'est-à-dire ne pas dépendre d'une subjectivité particulière, ni varier selon les individus. Il nous reste alors à nous demander si l'histoire est conforme à ces divers critères de scientificité.
Fondamental : L'histoire n'est pas une science au sens strict
L'histoire est une recherche des causes
Il est vrai que l'histoire a en vue d'expliciter les causes, et par là de rendre intelligibles les faits qu'elle étudie. Par exemple, l'historien de la Première Guerre mondiale aura a cœur, de mettre au jour les diverses conditions et causes de ce conflit. Il s'intéressera à l'enchaînement causal des événements au sein du conflit lui-même, au lieu de se contenter d'une simple énumération de dates et de faits successifs. Mais, ceci ne suffit pas encore à faire de l'histoire une science véritable. Comme l'écrit Cournot (1801-1877) dans son Essai sur les fondements de la connaissance, si « il n'y a pas d'histoire, dans le vrai sens du mot, pour une suite d'événements qui seraient sans liaison entre eux », il n'y a pas non plus d'histoire « là où tous les événements dérivent nécessairement et régulièrement les uns des autres, en vertu de lois constantes ». En d'autres termes, il n'y a pas d'histoire là où règnent la nécessité et l'universalité.
L'histoire porte sur ce qui est particulier et contingent
Contrairement aux critères évoqués plus haut, l'histoire ne porte pas sur un objet nécessaire et universel, puisqu'elle étudie des événements qui sont toujours singuliers et contingents. Par exemple, il n'y a eu qu'une seule Révolution burkinabé et on peut imaginer qu'elle aurait pu ne pas se produire si, le président Jean Baptiste Ouédraogo avait agi différemment.
L'histoire est sans doute une connaissance, mais non une science
L'histoire ne détermine pas des lois ou des enchaînements universels de causes et d'effets, comme le fait la science physique, mais elle étudie des cas particuliers. Selon Schopenhauer (1788-1860) « elle est une connaissance sans être une science, car nulle part elle ne connaît le particulier par le moyen de l'universel, mais elle doit saisir immédiatement le fait individuel, et, pour ainsi dire, elle est condamnée à ramper sur le terrain de l'expérience ».
Fondamental : Objectivité, subjectivité et « compréhension »
L' exigence d'objectivité en histoire
Dans un premier temps, il semble qu'il faille exiger en histoire, comme en toute autre connaissance, une impartialité et une objectivité totales. Alors, on demande à l'historien de nous donner, non son opinion sur tel événement, mais la connaissance la plus objective possible de celui-ci. C'est en ce sens que Fénelon (1651-1715) disait dans sa Lettre sur les occupations de l'Académie française que « le bon historien n'est d'aucun temps ni d'aucun pays. Quoiqu'il aime son pays, il ne le flatte jamais...». Rien de moins scientifique en effet, que les histoires écrites par ceux qui ont eux-mêmes vécu les événements qu'ils étudient, tel César rédigeant la Guerre des Gaules, et se souciant moins de la vérité des faits narrés que des éloges qu'il fait de lui-même et des Romains. Comme le souligne D. Fustel de Coulanges (18830-1889) dans ses Questions Historiques, la première règle que doit s'imposer tout bon historien est « d'écarter toute idée préconçue, toute manière de penser qui soit subjective ».
La subjectivité de l'historien
L'historien ne peut pas renoncer à toute subjectivité. En effet, quel homme pourrait véritablement n'être « d'aucun lieu ni d'aucun temps »? Dans l'étude du passé, l'historien ne saurait faire totalement abstraction des connaissances, des opinions propres à son époque et à son pays. Mais, plus encore, il faut comprendre que l'historien ne doit pas renoncer à sa subjectivité propre, et ce pour deux raisons :
-D'une part, il faut dire qu'une histoire absolument objective perdrait toute signification. Comment raconter « objectivement » l'assassinat de Thomas Sankara? Faut-il le réduire à une série de mouvements décrits à la manière de la science physique ? Ne faut-il pas au contraire tenir compte des composantes humaines, subjectives, de cet événement ?
-D'autre part, l'histoire n'a de sens et d'intérêt pour nous que si l'historien va à l'encontre du passé muni de sa propre subjectivité, de sa faculté propre de compréhension envers des êtres lointains et différents de nous. Comme l'écrit Paul Ricœur (1913-2005) :« nous attendons de l'historien une certaine qualité de subjectivité, non pas une subjectivité quelconque, mais une subjectivité qui soit précisément appropriée à l'objectivité qui convient à l'histoire.»
L'exigence de compréhension propre aux sciences humaines
Cette part de subjectivité et ce refus d'une objectivité pure, qui sont le propre de la connaissance historique, peuvent être synthétisés par la notion de « compréhension ». Ce principe signifie que l'historien tente non seulement de décrire, mais de comprendre, les événements, les personnes du passé et de sympathiser avec eux. En outre, il doit faire preuve d'esprit critique à l'égard des faits, qu'il doit interpréter et relier de façon à leur donner un sens. Alors, il faut dire que l'histoire appartient au domaine, non des sciences de la nature, mais des sciences dites « humaines », qui ont leurs exigences propres. Selon Dilthey (1833 -1911) , si les phénomènes naturels doivent être expliqués suivant la seule catégorie causale, les phénomènes humains quant à eux requièrent d'être compris, c'est-à-dire interprétés et replacés dans leur contexte historique afin d'être rendus signifiants.