Les critères de la vérité
Vérité et spéculation
C'est par le langage que nous exprimons certaines réalités communiqués par nos sens. La préoccupation reste de savoir si le discours est capable de témoigner de la vérité d'une chose. Platon (428-348 av. J.-C.) a donc une attitude négative et inaugure un mode de pensée qui entend se défier, se délier des apparences pour se conformer à la vérité. C'est donc en se démarquant des réalités du monde sensible pour se réfugier dans le monde intelligible, suprasensible. Platon souligne donc à ce propos : « La vérité n'est ni à moi, ni aux autres, elle est au milieu ». Il faut donc dans le discours exclure ce qui est douteux, écarter les zones d'ombre pour se tenir dans la certitude. Ainsi, l'adéquation attendue pourra être atteinte avec plus de précision. Même si par le langage, le jugement sur la réalité s'avère faux, cela n'altère en rien cette réalité. La recherche de la vérité exige donc un abandon de nos manières habituelles de juger pour que notre esprit puisse accéder à la vérité des choses.
Le rapport entre vérité et évidence
Pour Nicolas Boileau (1636-1711) : « tout ce qui se conçoit bien, s'énonce clairement et les mots pour le dire arrivent aisément». Descartes (1596-1650) soulignera qu'une idée claire et distincte apparaît évidente et est vraie. Il fait remarquer : « les choses que nous concevons fort clairement et fort distinctement sont toutes vraies ». C'est parce qu'il fait de l'évidence le critère le plus parfait de la certitude, de la vérité. Mais cette conception de la vérité pose problème car l'évidence est mal définie. Descartes lui-même reconnaît qu'il y a des difficultés à bien appréhender les idées. A quel moment est-on certain qu'une idée est claire ? Comment distinguer les vraies évidences des fausses? Je peux croire être dans le vrai et cependant me tromper ; je peux éprouver avec sincérité un sentiment de certitude et pourtant me tromper. C'est ce qui a conduit Leibniz (1646-1716) à critiquer Descartes lorsqu'il souligne que celui-ci « a logé la vérité à l'hôtel de l'évidence mais a négligé de nous en donner l'adresse ». L'évidence peut-être trompeuse ; les passions, les préjugés, l'habitude peuvent nous donner des contrefaçons de certitude.
Le rapport entre vérité et réalité
La vérité se définit dans ce contexte comme l'accord de la pensée, non plus avec elle-même mais avec son objet ; c'est ce qu'a tenté d'exprimer la scolastique en soulignant que l'idée vraie est celle qui est fidèle à la réalité en ce sens que vrai et réel désigne une même chose. Il ne faudra cependant pas confondre réalité et vérité ; la vérité en tant que copie n'a aucun sens. Tout jugement vrai est une reconstruction intelligible du réel et suppose un travail de l'esprit ; cela est remarquable au niveau de l'art, la science et la philosophie. La vérité n'est pas une copie mais plutôt une structuration, une transfiguration. L'art, écrit André Malraux (1901-1976) : « c'est ce par quoi les formes deviennent style ». Le vrai n'est pas la réalité brute, mais c'est ce que l'artiste a réalisé, c'est ce qu'il a repensé par l'esprit : la vérité est une valeur qui concerne un jugement par lequel j'affirme qu'il y a là quelque chose qui peut être vrai ou faux ; la vérité scientifique supporte une reconstruction de l'expérience par les concepts. Puisque les faits sont liés entre eux par des lois nécessaires de jugement vrai, c'est l'expérimentation technique de ces lois. Alors nous pouvons nous demander si la vérité en science est ce qui réussit.
La question de la vérité scientifique
Pour William James (1842-1910), le seul critère de la vérité est le succès, la pratique, l'idée efficace. La pensée est au service de l'action. Les idées ne sont que des outils pour agir. En tant que père du pragmatisme, théorie selon laquelle un phénomène ne vaut que s'il a été passé au crible de l'expérience, il conçoit : « une idée n'a aucune signification en dehors de sa signification pratique... l'idée vraie, l'idée utile, la pensée sont au service de l'action, elles sont ce qui est avantageux de n'importe quelle manière ». Suivant le même argumentaire, Antoine de Saint Saint-Exupéry (1900-1944) déclare dans Terre des hommes : « la vérité pour l'homme, c'est ce qui fait de lui un homme ». Autrement dit la vérité est ce qui épanouit, mais pas forcément ce qui se démontre puisque les vérités religieuses, culturelles ont d'autres critères, d'autres échelles de valeur de vérité qui ne sont pas forcément celles de la science.