Le bonheur comme une quête permanente
Fondamental :
Bonheur et plaisir
Pendant longtemps, les hommes ont opposé, du moins distingué le bonheur d'avec le plaisir en assimilant le plaisir à une jouissance répréhensible sinon au mal absolu et en considérant comme souverain bien, un bonheur supraterrestre réservé à certains. Pour SÉNÈQUE, le plaisir arrivé à son plus haut point s'évanouit tandis que le bonheur identifié au souverain bien ou encore à la vertu est « immortel, il ne sait point s'en aller, il ne connaît ni satiété, ni regret ». Tous les hommes visant le bonheur, la nature donne aux êtres vivants, un critère : le plaisir. En tant que sentiment d'une harmonie liée à notre nature, le plaisir constitue déjà un bien recherché. Puisque le désir est signe du manque d'un plaisir et tendance qui nous pousse à l'atteindre, bonheur et plaisir sont liés et on ne saurait concevoir l'un sans l'autre. Cependant, il faut se garder de les confondre. Leibniz soulignait à propos que « notre bonheur ne consistera jamais dans une pleine jouissance, où il n'y aurait plus rien à désirer; mais dans un progrès perpétuel à de nouveaux plaisirs et de nouvelles perfections». C'est non sans nier l'importance du plaisir dans la quête du bonheur que Nicolas MALEBRANCHE (1638-1715) écrit qu'« il faut dire les choses comme elles sont : le plaisir est toujours un bien... le plaisir rend heureux celui qui en jouit, du moins dans le temps qu'il en jouit.» Puisse qu'on ne peut évoquer l'un sans l'autre, il faut souligner l'existence de plaisirs non violents qui s'étendent dans la durée si bien que René DESCARTES (1596-1650) écrit : « Le repos d'esprit et la satisfaction intérieure que sentent en eux même ceux qui savent qu'ils ne manquent jamais à faire leur mieux, est un plaisir sans comparaison, plus doux, plus durable et plus solide que tous ceux qui viennent d'ailleurs ». Ainsi pour DESCARTES, il y a une identification possible entre bonheur et plaisir car le plaisir intérieur, celui de toujours faire pour le mieux est incomparablement plus doux, durable et plus solide que tous ceux qui nous viennent de l'extérieur. Le plaisir réunit donc en lui des caractères qui l'apparentent au bonheur.
La sagesse comme voie d'accès au bonheur
Pour ÉPICURE (340-270 av. J.-C.) qui met l'accent sur le bonheur individuel, le sage doit calculer sa vie à l'avance et régler ses désirs en se contentant de satisfaire les désirs naturels et nécessaires de telle sorte qu'il vise non plus les plaisirs passagers mais le bonheur. Il a une conception morale du bonheur basée sur la sobriété, l'abstinence et le renoncement aux plaisirs naturels non nécessaires et aux plaisirs non naturels et non nécessaires.
L'épicurisme et le stoïcisme sont des doctrines morales qui confèrent au bonheur une valeur éthique. Le bonheur n'est pas séparable de la vertu et chez les stoïciens comme ÉPICTÈTE, le bonheur qui réside dans un détachement souverain à l'égard de toutes choses, se traduit par l'ataraxie. ÉPICTÈTE à cet effet nous met en garde contre tout désir : le désir abaisse l'homme et l'assujettit à d'autres ; le véritable bonheur ne connaît ni entrave, ni interruption.
ARISTOTE (384-322 av. J.-C.), dans une certaine mesure abonde dans le même sens lorsqu'il affirme : « Une hirondelle ne fait pas le printemps, non plus qu'une seule journée de soleil ; de même ce n'est ni un seul jour ni un court intervalle de temps qui font la félicité et le bonheur ».
L'hédonisme du grec ‘'hedonè'' qui veut dire ‘'plaisir'', est une doctrine qui fait du plaisir, le souverain bien de l'homme en faisant fi de toute moralité dans une certaine mesure. Cette doctrine est incarnée par l'école des cyrénaïques avec ARISTIPPE de Cyrène selon qui la nature nous porte, dès l'enfance vers une fin universelle : le plaisir. Selon lui, tous les plaisirs sont naturellement égaux. Il s'agit seulement de ménager notre capacité de plaisir futur en évitant d'être chagriné par le souvenir du plaisir ou par son attente.
Pour les hédonistes modernes, le bonheur peut être atteint ici-bas. Partant du principe selon lequel l'intérêt personnel est le moteur unique des actions des hommes ; L'hédoniste moderne Jeremy BENTHAM (1748-1832) cherche dans l'utilitarisme à fonder une arithmétique des plaisirs et des peines susceptibles de procurer à tous le bonheur
Le bonheur comme souverain Bien
La philosophie antique considère le bonheur comme le souverain bien c'est-à-dire la fin à laquelle toutes les autres sont subordonnées. De ce fait, il est à conquérir, il n'est pas un ‘'don''. Une telle conception fait du bonheur une chose qu'on ne peut maîtriser et posséder d'où l'opposition avec le plaisir. Même si le plaisir est l'agréable et qu'il semble bon, il n'a pas la dignité du bien. Les stoïciens, les épicuriens et ARISTOTE lient le bonheur à une vie vertueuse fondée sur la Raison. Pour ÉPICURE, il faut régler ses désirs sur la nature ; pour le stoïcisme, il faut accepter l'ordre du monde ; pour ARISTOTE, le bonheur est dans l'activité tournée vers l'intelligence.
C'est dire que le bonheur est un idéal car n'étant pas facilement maîtrisable ni rationnellement, ni empiriquement ; de plus, il semble dépendre de conditions qui échappent à la volonté : comment mener une vie heureuse sans que l'activité ne soit entravée par des obstacles extérieurs ? Ainsi, le bonheur ne serait-il pas selon l'expression de KANT ‘'un idéal non de la Raison mais de l'imagination''. Comment alors le concevoir comme fin de l'action morale ? Dans ces conditions, bonheur et vertu ne sont pas liés : on peut être heureux sans être vertueux et vertueux tout en étant malheureux. L'action morale ne nous rend pas heureux mais digne d'être homme. Cette complexité du bonheur nous pousse-t-il à en faire un problème insoluble ?