La connaissance expérimentale
On présente les sciences expérimentales comme un effort pour explorer la nature et connaître le monde réel. Quelle est la démarche suivie dans ces sciences expérimentales ?
Les différentes étapes de la connaissance expérimentale
C'est Claude BERNARD dans son ouvrage intitulé Introduction à l'étude de la médecine expérimentale, (1865, Paris, Garnier-Flammarion) qui rend compte de la démarche expérimentale en posant ses principes. Il écrit : « le savant complet est celui qui embrasse à la fois la théorie et la pratique expérimentale. » Le savoir scientifique se construit selon les étapes suivantes :
a- L'observation : le scientifique constate un fait, il observe un phénomène matériel qui n'a pas encore d'explication ou dont l'explication est insatisfaisante. Cette étape relève de l'observation empirique. Il élabore des relations entre les données d'observation et les connaissances déjà acquises. Mais observer demeure insuffisant. Il faut formuler des questions soulevées par l'observation. Il faut poser un problème scientifique. En d'autres termes, le scientifique rend le fait observé problématique. Le point de départ de la recherche scientifique n'est donc pas le fait lui-même mais le problème posé par le fait. C'est ce que BACHELARD appelle le fait polémique.
b- La formulation de l'hypothèse : Une hypothèse est une supposition logique et abstraite qui permet d'expliquer un phénomène. Claude Bernard définit l'hypothèse comme, «une interprétation anticipée et rationnelle des phénomènes de la nature ». Elle représente une proposition de réponse au problème posé par le fait polémique. Cette réponse provisoire doit être éprouvée par une expérience, c'est-à-dire des observations provoquées. La formulation de l'hypothèse relève d'un raisonnement théorique.
c- L'expérimentation: Il s'agit de faire la vérification de l'hypothèse à travers l'expérience. L'expérience est pensée pour contrôler la véracité d'une hypothèse. Elle permet de trancher entre deux hypothèses opposées. Elle permet d'éliminer les hypothèses non concluantes. En cela, elle est essentielle. Le scientifique expérimente pour arriver à différentes conclusions. Une expérimentation est une expérience répétée dont on tire des conclusions logiques. Ces conclusions permettent d'établir une loi. Cette étape relève de la théorie et de l'expérience
Ainsi, pour élaborer une connaissance scientifique, le scientifique fait des expériences au cours desquelles il découvre de nouveaux phénomènes qu'il faut observer méthodiquement et expliquer. Le cycle se poursuit continuellement. Dans ce cycle, on peut dire que la primauté n'est donnée ni à la théorie ni à l'expérience. Le savoir a besoin des deux inséparablement. Faut-il à partir de là dire que la théorie scientifique parce qu'elle est expérimentale est hors d'atteinte du doute ? Qu'est-ce qui distingue le savoir scientifique de celui ordinaire ?
L'évolution des théories scientifiques
L'esprit scientifique se développe lorsque la raison prend les devants, pose des principes plutôt que de se laisser guider par l'opinion et les croyances. Selon BACHELARD, « l'esprit scientifique » se développe par élimination progressive de la subjectivité. Les opinions, les préconceptions, les croyances etc. constituent autant d'obstacles épistémologiques c'est-à-dire des freins à la connaissance. La théorie scientifique est objective et universelle. Avant Bachelard, Auguste COMTE montrait déjà que l'esprit scientifique est passé par trois états avant de se constituer rigoureusement: il s'agit de l'état théologique où les choses sont expliquées par les dieux ; de l'état métaphysique où les dieux sont remplacés par les forces abstraites dans l'explication des phénomènes ; pour enfin arriver à l'état scientifique où l'esprit se préoccupe de trouver des liaisons internes entre les phénomènes naturels. La science permet de passer du surnaturel au naturel, de la subjectivité à l'objectivité, de la qualité à la quantité en introduisant la précision pour transformer par la mesure les qualités en quantités.
Aussi, Une théorie n'est scientifique que si elle est réfutable. D'où l'idée de falsifiabilité proposée Karl POPPER. (La logique de la découverte scientifique, 1934). Elle désigne la possibilité qu'a une théorie d'être remise en cause par une nouvelle expérimentation. Sont donc véritablement scientifiques, les théories susceptibles d'être infirmées par de nouvelles théories. En ce sens, une véritable science n'est jamais définitive ou absolument vraie. La théorie scientifique ne saurait s'ériger en un dogme.
En outre, la recherche scientifique semble s'être toujours développée au cours de l'histoire en prenant modèle sur une théorie scientifique dite exemplaire que Thomas KUHN appelle paradigme, issu du grec « paradeigma » qui signifie exemple. (La structure des révolutions scientifiques, 1962.) Mais, aussi longtemps qu'un paradigme est posé, il n'est pas réfutable. Ce qui empêche la science de progresser ou des théories nouvelles d’apparaître. Si par exemple la vision géocentrique du monde héritée d'Aristote a si longtemps perduré c'est parce qu'elle constituait un paradigme élevé au rang de véritable dogme. L'évolution selon KUHN ne se fait pas de manière progressive mais par crises et par ruptures à travers lesquelles les théories connaissent de véritable révolution. Copernic, Giordano Bruno et Galilée sont passés pour hérétiques pour avoir proposé de substituer l'héliocentrisme au géocentrisme. Et c'est à ce prix que la science progresse : par déconstruction et reconstruction. Gaston BACHELARD parlera d'erreurs rectifiées. La science progresse par erreur et par rectification. Si tel est le cas, peut-on parler de déterminisme en science ?
Le déterminisme
Le déterminisme est un principe scientifique selon lequel l'apparition d‘un phénomène est strictement déterminée par des conditions d'existence bien définies. Ce qui signifie que tout ce qui arrive a une cause et que les mêmes causes produisent les mêmes effets dans les mêmes conditions de température et de pression. Cela implique que dans son organisation et dans son fonctionnement, la nature obéit à des lois constantes et rigoureuses, c'est-à-dire invariables. Parlant du déterminisme, Louis de BROGLIE écrit : « Pour le physicien, il y a déterminisme lorsque la connaissance d'un certain nombre de faits observés, jointe à la connaissance de certaines lois de la nature lui permet de prévoir rigoureusement que tel ou tel phénomène aura lieu à telle époque postérieure. » (Continu et discontinu,....) Qu'en est-il de la notion du hasard en science ?
On parlera de hasard pour désigner un fait qui échappe à tout pouvoir humain de le déterminer d'avance, c'est-à-dire un fait imprévisible. Cependant, un phénomène hasardeux n'est donc pas dépourvu de causes déterminantes. C'est justement parce que ses causes sont trop nombreuses pour l'esprit humain. Pour le savant, le hasard n'est pas synonyme de contingence, il se réduit à une ignorance d'un déterminisme qui existe. Cette idée sera mise en évidence par Spinoza en ces termes : « Le hasard n'est pas absence de nécessité, mais ignorance de la nécessité. » Dans le cadre même de la nature certains domaines ont été considérés comme échappant au déterminisme parce qu'ils ne paraissent pas soumis à des régularités autorisant des prévisions rigoureuses. Mais cela n'exclut cependant pas l'existence du déterminisme. Même si la science à une époque donnée est incapable de trouver l’enchaînement caché des causes régissant les phénomènes de la nature, il n'en demeure pas moins qu'elle espère par l'évolution arriver un jour à établir ces causes perçant ainsi les mystères de l'inexpliqué.