L'ambivalence du rapport a autrui
Fondamental : Le conflit comme mode de rapport à autrui
Le regard
Autrui constitue un frein à ma liberté par son regard. En effet, l'homme est par nature, un être libre qui choisit toujours par lui-même les actes qu'il pose, et le sens qu'il veut donner à son existence. Mais, puisqu'il n'est pas seul, avec la présence de l'autre, il n'est plus libre d'accomplir pleinement son vouloir le plus profond. Toute initiative ou tout acte doit toujours tenir compte du regard de l'autre. A l'instant que je croise ce regard, je me sens emprisonné par son jugement qui me condamne et sanctionne mes actes. L'influence du regard de l'autre, le jugement de mon semblable dicte mes actes. Cela signifie que c'est lui qui ordonne ce que je suis en droit de faire ou non. En fait, je ne suis plus responsable de mes actes, mes actions n'ont de sens que si autrui le veut. Je deviens une chose qu'il peut manipuler à sa guise. Le regard de l'autre m'instrumentalise et me chosifie. Il y a là de l'aliénation car, être aliéné, c'est laisser quelqu'un d'autre agir à notre place. Autrui, non seulement m'empêche d'être libre, mais aussi m'aliène, au point que je sois totalement étranger à moi-même. On comprend donc pourquoi Jean Paul Sartre affirme que « ma chute originelle, c'est l'existence de l'autre » et l'illustre dans Huis-clos par cette maxime : « L'enfer, c'est les autres ; même l'amour ne saurait y remédier car j'y perds ma liberté ». Le regard d'autrui m'humilie, me juge, me chosifie, m'enlève ma sécurité et me rabaisse, me fait ressentir la honte, la gêne car je m'interroge sur ce qu'il pense de moi. Dans le même sens, Thomas Hobbes (1588-1679), reprend dans Le Léviathan que « l'homme est un loup pour l'homme à l'état de nature » pour nous faire comprendre que par nature, les humains sont égaux ; or l'égalité engendre la défiance, et la défiance engendre la guerre. C'est dans la même logique que Pascal (1623-1662) nous expose sa conception des relations humaines en disant que : « tous les hommes se haïssent naturellement l'un l'autre ». Car selon lui la relation à autrui se situe dans un climat conflictuel. Dans cette optique, nous pouvons dire avec Hegel (1770-1831), que « toute conscience de soi poursuit la mort de l'autre » c'est-à-dire un asservissement et non d'une mort physique. En d'autre terme, l'existence de l'autre est un frein à l'épanouissement de mon existence.
La dé-personnification
Mon statut de sujet peut être terni par autrui en ce qu'il me dépersonnalise. Comme nous l'avons relevé, le regard de l'autre me juge, me sanctionne, me gêne, et me met dans le honte. Alors, se dissimuler dans la foule (l'anonymat) devient une alternative pour éviter cet état de fait. Dans le groupe l'individualité disparaît ; l'homme devient un être anonyme sans personnalité, incapable de dire « je ». Il s'exprime avec le « on ». C'est ainsi que dans la société, il n'est pas rare de voir certaines personnes utiliser des expressions telles : on m'a dit..., on veut..., on parle... ; et non le « je » qui exprime l'engagement, la prise de décision, et la responsabilité du sujet quant aux actes qu'il pose. Ne serait-ce pas pour cela que Martin Heidegger (1889-1976) nous exhorte de sortir du « On », car, celui-ci nous dépersonnalise. Dès lors, que dois-je faire étant donné qu'autrui m'empêche d'être libre et me dépersonnalise ? Ne serait-il pas mieux de choisir la solitude ? Même si la solitude conduit à la connaissance de soi, n'est-ce pas une utopie de dire qu'elle permet de retrouver notre bonté originelle?
Fondamental : Autrui comme condition de mon existence et de mon épanouissement
L'expérience de la vie nous enseigne le rôle et la place d'autrui dans notre existence. C'est par l'autre que j'existe, que je m'humanise par la naissance, à travers la socialisation et la sociabilisation. Seydou BADIAN (1928-2018), dans son œuvre Sous l'orage exprime clairement cette dépendance entre sujets lorsqu'il écrit que l'homme : « vient dans leurs mains et s'en va dans leurs mains ». C'est par autrui, que j'ai la vie, je reçois l'éducation, je reçois ses expériences afin d'être un homme accompli.
La solitude est peut-être souhaitable mais elle est invivable dans la réalité. Loin d'être l'enfer, autrui est aussi selon Jean-Paul Sartre « le miroir indispensable entre moi et moi-même ». Il est mon conseillé et sa rencontre me révèle ma personne. L'étroitesse de nos rapports, nous pousse à reconnaître en lui, une complémentarité, l'indispensabilité de l'autre. Aussi Roger Garaudy (1913-2012) peut-il écrire in Testament philosophique que « l'enfer, c'est la fermeture à l'autre ». La valeur de l'autre conduit Saint-Exupéry (1900-1944) à dire de l'autre : « si tu diffères de moi mon frère, loin de me léser, tu m'enrichis ». Cela révèle la valeur de la solidarité humaine. On peut reprendre un adage qui dit que « c'est dans la solidarité que l'on construit la toiture » donnant écho à ces propos de Amadou Koné dans Les Frasques d'Ebinto « c'est la diversité des couleurs qui fait la beauté du tapis ». Dès lors, cohabiter avec l'autre m'est plus un avantage. En somme, la vie sans l'autre est infernale.