Développement de la dissertation
1ère partie
Tout homme se juge spontanément libre. En effet, dans le langage courant, la liberté renvoie au pouvoir que possède tout homme de n'obéir qu'à lui-même, qu'à sa propre volonté, et d'agir uniquement en fonction de ses désirs, indépendamment de toute contrainte ou de toute pression extérieure. Tout homme se sent donc spontanément libre, tout simplement, parce qu'il se croit capable de faire des choix de petite ou de grande importance, de prendre des décisions, de petite ou de grande ampleur. Autrement dit, tout homme, lorsqu'il porte un regard réflexif sur lui-même, se juge spontanément libre, c'est-à-dire en mesure d'agir simplement en fonction de sa volonté. On constate que la plupart des philosophes qui se sont prononcés en faveur de la liberté humaine, de l'existence du libre arbitre, ont accordé une grande valeur à l'expérience intime, immédiate que nous aurions. C'est ainsi que selon Descartes « la liberté de notre volonté se connaît sans preuve par la seule expérience que nous en avons ». La liberté correspondrait donc à un sentiment intérieur, à une expérience immédiate en chaque homme. Mais, peut-on se contenter du sentiment de notre liberté pour en déduire son existence certaine ?
En nous inspirant de l'expérience de l'âne de Buridan qui, placé à égale distance d'une botte de foin et d'un seau d'eau, hésite, se montre incapable de choisir, et finalement se laisse mourir, nous pouvons en conclure de l'inexistence du libre arbitre. En effet, nous avons tous déjà vécu une situation où les mobiles ou motifs en faveur d'un acte ou d'un autre étaient si équivalents, ou aussi contraignants l'un que l'autre, que nous nous sommes retrouvés incapables de faire un choix. Que se passe-t-il lorsqu'un individu se retrouve face à deux possibilités aussi équivalentes l'une que l'autre, lorsque rien ne puisse permettre de déterminer son choix ? Ce qui permet à l'homme d'échapper à la situation absurde de l'âne, c'est qu'il dispose de cette liberté d'indifférence, c'est-à-dire de cette liberté par laquelle notre volonté a le pouvoir de choisir spontanément et de sa propre initiative. Cette situation prouve que l'homme est doté d'un libre arbitre, c'est-à-dire d'une capacité de choisir pouvant échapper à tout déterminisme. Pour Descartes, cette liberté d'indifférence, considérée comme « le plus bas degré de la liberté », apparente l'homme à Dieu.
Par la théorie de l'acte gratuit, André Gide cherche à montrer la possibilité pour un être humain de réaliser un acte gratuit, c'est-à-dire un acte accompli sans raison, par le seul effet de sa liberté. En effet, il s'agit pour l'homme de poser un acte sans mobile. C'est dire qu'on s'en remet au hasard. Or le hasard, c'est précisément ce qui est fortuit, c'est-à-dire dépourvu de toute intention consciente, donc de motivation intrinsèque. Tout acte serait donc déterminé par une réalité extérieure, signe de l'existence d'un mobile. Mieux, la théorie de l'acte gratuit ne serait-elle pas déterminée par le désir même de se prouver à soi-même sa liberté ? L'acte gratuit est donc une notion philosophiquement problématique, car la volonté de prouver sa liberté par un acte supposé sans mobile constitue, par elle-même, un mobile.
Dès lors, le sentiment de liberté ou la volonté de réaliser un acte non déterminé ne seraient-ils pas qu'une croyance illusoire? Ne serait-ce pas une ignorance des déterminations qui nous poussent à l'action? (transition)
2ème partie
Le libre arbitre serait une illusion que l'homme se fait en se croyant libre. En effet, au regard du déterminisme qui accompagne toutes nos décisions, admettre une totale liberté d'action pour le sujet serait faire une erreur. Spinoza est l'un des philosophe qui fait la critique en dénonçant les illusions du libre arbitre. Spinoza, se fondant sur l'origine et la nature des affections, rejette totalement l'idée selon laquelle l'homme occuperait une place privilégiée au sein de la nature. Son objectif est bel et bien de montrer que l'homme suit les lois communes de la Nature, comme toutes les choses de ce monde. Il défend ainsi une position philosophique déterministe suivant laquelle tous les événements sont absolument nécessaires et le sentiment que nous avons d'être libres ne serait qu'une illusion naturelle. Ainsi souligne-t-il que « telle est cette liberté humaine que tous les hommes se vantent d'avoir et qui consiste en cela seul que les hommes sont conscients de leurs désirs et ignorants des causes qui les déterminent ».
Poursuivant toujours sa critique sur l'illusion du libre arbitre, Spinoza lui en trouve deux sources. En effet, cette illusion naturelle de l'homme a deux causes. Premièrement, la source de l'illusion humaine du libre arbitre est l'ignorance des causes qui nous poussent à agir. Or à prendre les choses rigoureusement, l'homme est tout aussi déterminé à se mouvoir sous l'influence de causes externes qu'une pierre qui reçoit une impulsion. Les hommes se croient libres alors qu'ils sont contraints ou déterminés par leur nature. Deuxièmement, Spinoza précise bien, que les hommes « se vantent » d'être libre car le désir d'être libre, même illusoire, est beaucoup plus valorisant pour l'orgueil humain que l'idée d'être totalement déterminé.
Au regard de ce qui précède, il nous faut donc tirer les enseignements de la critique spinoziste du libre arbitre et reconnaître que l'idée d'une liberté spontanée ou d'un sentiment immédiat de liberté n'est plus tenable. Est-il dès lors possible de reconstruire une approche de la liberté qui soit accessible à l'homme ? (transition )
3ème partie
La complexité de la liberté pour l'homme est telle qu'il lui faut apprendre à être vraiment libre en se libérant des passions. En effet, pour le sujet, la liberté reste une conquête en ce sens que celui-ci est constamment en proie au désirs, à la passion, aux influences extérieures. Cela est plus explicite quand Platon cherche à montrer, dans le Gorgias, l'illusion dans laquelle se trouvent les hommes comme Calliclès, qui croient qu'être libre consiste à faire ce que l'on veut, c'est-à-dire à réaliser tous ses désirs. Or une telle vie, guidée par des désirs multiples et surtout infinis, mène nécessairement au tourment et au malheur. C'est donc un risque pour un homme comme Calliclès décidant de mener une vie intempérante et désordonnée de devenir l'esclave de ses propres passions et désirs. Être libre revient à pouvoir maîtriser ses passions et en faisant preuve de raison. Cela ne signifie-t-il pas que la liberté, c'est aussi la capacité d’être responsable de ses actes.
La liberté authentique, par opposition avec la liberté illusoire des désirs infinis, c'est l'entrée dans une véritable autonomie et c'est pouvoir devenir responsable de ses actes et pouvoir en répondre. En effet, Platon nous donne une belle leçon par la sagesse socratique. Il présente Socrate comme le sage qui sait distinguer entre les désirs à poursuivre ou à ne pas poursuivre, qui sait se gouverner lui-même et qui est en mesure d'accéder à une véritable autonomie de la volonté. C'est dire que l'homme a une part de responsabilité dans l'exercice de sa liberté dans ses rapport avec soi et les autres à travers les actes qu'il pose. La liberté authentique est donc celui du rapport à soi-même et à autrui. La liberté entre alors dans le champ de la réflexion morale, sociale et politique. C'est ainsi qu'au sens moral et juridique, être libre, c'est pouvoir être reconnu autonome et responsable de ses actes, de ses choix, à la fois devant soi-même et devant la société à laquelle on appartient. Il en ressort que la liberté responsable repose sur une vie guidée par la raison. N'est-ce pas une exigence pour notre agir moral?
Un autre aspect de la liberté fait d'elle une condition de l'acte éthique. En effet, au delà de la responsabilité du sujet dans son agir, sa liberté est essentiellement caractérisée par la moralité de ses actes. Ainsi pour Kant « (...) si la loi morale n'était pas d'abord clairement conçue dans notre raison, nous ne nous croirions jamais autorisés à admettre une chose telle que la liberté (...). En revanche, s'il n'y avait pas de liberté, la loi morale ne saurait nullement être rencontrée en nous ». Alors pour que l'homme soit moral, il faut qu'il soit libre. S'il était forcé par une nature intelligible à la bonté, à la justice et à l'altruisme, il ne serait qu'un automate spirituel. De plus, s'il était forcé par sa nature sensible à l'égoïsme, il ne serait qu'un mécanisme matériel. Ainsi donc la liberté est la condition de possibilité et l'essence de la vie morale de l'homme, comme la vie morale de l'homme est ce par quoi l'homme connaît la réalité de sa liberté.